Le monde d'Alice Moprez

Evelyne Nicod



Gatteria
Milano
MMXX

Le monde d'Alice Moprez
par
Evelyne Nicod

Mise en page
par
Rodolfo Pardi

Éditeur : Gatteria® www.gatteria.it

Édition 1Date de publication : 8 juin 2020

ISBN 9788887709988

Copyright : © Evelyne Nicod 2020

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Une longue histoire, celle d'Alice Moprez

Quatre générations se succédèrent, faisant place à Alice Moprez.

Un destin parsemé d'embûches, de succès, d'amitiés solides, qui se croisent.

La vie s'écoule, plus ou moins chaotique, avec ses joies, ses deuils, les incompréhensions, beaucoup de non-dits, mais aussi de fidélité en amitié même si on ne se révèle pas obligatoirement.

Le mystère autour de toi
se confirme chaque fois
que ton nom est prononcé
surprenant, mais admiré

Tu as métamorphosé
l'esquive en art raffiné
tu te caches pour mieux briller
dans le noir de l'éternité.

Sommaire

Louis Moprez

Les vignes n'avaient plus de secrets, pour le dernier propriétaire des vignobles Moprez et fils. Leur reconnaissance envers le délectable nectar, qui leur avait tant donné, renommée, fortune, était immense. En bon Valaisan, on avait le triomphe modeste. Les Moprez se sont succédé depuis des générations, sur les collines ensoleillées du bas Valais, passion, détermination, un sens aigu du commerce dans cette famille, composée de garçons, dont quatre travaillaient la vigne, seul, le petit dernier se défila, déclarant, après des études de commerce, vouloir s'investir dans l'acquisition de bois, de forêts de conifères, achetées dans le Jura français, de l'autre côté de la frontière et considéré un bon investissement.

Voilà ce dont rêvait le jeune Louis, âgé de 18 ans. Avec l'aide financière de sa famille, il prospecta et fit l'achat d'hectares de pinèdes dans les années 1880.

Il rencontra de nombreux courtiers, visita des scieries et fit la connaissance de monsieur Ducroy, des usines Favre Ducroy, et épousa la fille unique de ce dernier, Charlotte, de deux ans sa cadette, héritière de centaines d'hectares de prés boisés, et en possession d'une dote confortable, ce qui ne gâchait rien. D'une timidité maladive, et d'une docilité absolue envers les désirs de son père, elle convola donc avec son petit Suisse, sans joie, sans peine, il le fallait, car papa en avait décidé ainsi. Elle n'était pas idiote, seulement ignorante, obéissante, pas très jolie, une brunette comme beaucoup d'autres, ni grande, ni grosse, des cheveux châtain clair, poitrine et derrière très discrets, de petits yeux gris, un charmant sourire, assez coquette, très pieuse, elle avait même pensé à entrer dans les ordres, chez les carmélites. Elle ne lisait que des textes sacrés, ne connaissait rien à la vie, sans animaux, ni frères ni sœurs, elle n'avait pas la moindre idée de ce que le mariage impliquait, et qu'elle découvrit, avec horreur, durant sa nuit de noces. Le sieur Louis était un gai luron, avait navigué, depuis l'enfance, dans les bras de femmes aimantes, sa mère, sa gouvernante, les filles avenantes des métayers qui le choyèrent. Il adorait les seins, sa sexualité, assez débridée, ne connaissait pas d'interdits.

Il était catholique, mais ne pratiquait que par convenance sociale, il aimait les Femmes, qui le lui rendaient volontiers, car il possédait un don de séduction extraordinaire, ne lâchant prise, qu'après avoir convaincu la convoitée, que c'était elle, qui désirait se faire manipuler par ses mains avides, et sa bouche dévoreuse.

Charlotte le prit pour un fou, pire un maniaque, un malade, elle pleura jusqu'au matin, son jeune époux endormi, la tête reposant sur son estomac, une main sur son sein menu serrant la pointe dans ses doigts. Paralysée, elle pria le bon Dieu d'en finir, et de la faire mourir sur-le-champ. Ne pouvant imaginer ce qu'éprouvait la pauvre Charlotte, il entreprit de la caresser avec ses lèvres de pieds en cap, elle s'évanouit en gémissant. Il dut appeler sa belle-mère pour calmer les convulsions de la jeune épousée. Neuf mois plus tard, elle mit au monde un joli bébé de quatre kilos, elle pria aussi son mari de dormir le plus loin possible, qu'elle ne partagerait aucune intimité avec un homme désormais. Ils firent chambre à part, devinrent de bons amis, vivant sous le même toit.

Elle avait fait son devoir, donner un héritier Moprez, un beau garçon qu'elle éleva avec une fébrilité inattendue, se consacrant à ses bonnes œuvres, aidant les indigents, les malades, elle devint très populaire, une réputation au zénith jusqu'à sa mort en 1918 des suites de la grippe espagnole.

Louis ne comprit jamais, son dégoût à son égard, n'ayant jamais essuyé de refus auparavant. Il respecta le pacte, la laissant à ses bonnes œuvres. Il se considéra libéré de ses obligations, et trouva immédiatement, une très jolie maîtresse, à son goût, pourvue de beaux seins, des tétons fermes et roses, la taille souple, une toison dorée et, cerise sur le gâteau, une peau de blonde, transparente, si douce à caresser. Il avait un fils, Charles, né en 1887, que désirer de plus.

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Charles et Daisy

Louis possédait le don de faire prospérer tout ce qu'il touchait, une intuition phénoménale, un génie de la finance. Il partit aux États-Unis, à Philadelphie, chez son cousin Moprez, qui s'y était établi depuis une quinzaine d'années, doubla sa mise en bourse. À son retour, dans le Jura, il agrandit la scierie, créa une usine de produits dérivés du bois, unique en son genre, à cette époque, qui fit sa fortune. Il construisit une maison énorme, baptisée, en toute modestie, le château, située dans une vaste clairière, à l'orée du bois, et à une dizaine de kilomètres de la ville. Le chantier dura des années.

Il fallut déboiser, trouver une source, faire une route, le bâtiment en lui-même, en pierre calcaire du pays, demanda deux années de labeur acharné : Louis n'était pas un minimaliste, il voyait grand, il n'aimait pas le tape-à-l'œil non plus, n'oubliait pas ses origines, être fils de vigneron valaisan, faisait la différence, que diable.

Ils emménagèrent avant la guerre. Ils devinrent les châtelains, l'usine comptait une centaine de travail-leurs, menuisiers, cadres, une institution dans le secteur. Travailler chez Moprez était signe de compétence, de sérieux et qualifiait un curriculum.

En 1912, Louis emmena son fils à Philadelphie, les cousins expatriés Moprez organisèrent des fêtes, des rencontres intéressées, on lui présenta de nombreuses jeunes femmes, quand l'étincelle jaillit, Charles tomba fou amoureux de Daisy Blacksdale, une grande amazone de 23 ans, dotée confortablement, évidemment.

Pianiste talentueuse, très grande, suffisamment attrayante et cultivée, elle représentait l'archétype de l'Américaine, pour un Français d'origine suisse. Elle n'était pas une oie blanche, son sourire carnassier parlait pour elle, sans équivoque. Comme sa famille elle avait le sens des affaires, bonnes si possible. Le pragmatisme réglait son existence, depuis son enfance, et guidait sa vie sentimentale, sans états d'âme inappropriés.

Charles n'était pas timide, mais n'affichait pas, non plus, la même désinvolture que son père, envers les femmes. Il avait essuyé quelques chagrins amoureux, sans avoir connu la passion, aussi, cette Américaine désinvolte, le faisait vibrer, des pieds au cerveau, un tsunami, qui le fit chavirer. Ils se plaisaient physiquement, et se le prouvèrent rapidement, car la belle n'était pas prude. Ils se marièrent à Philadelphie, dans la plus stricte intimité, et s'embarquèrent pour la France et le Jura. Daisy connaissait Paris, aussi, quand elle découvrit le Jura, les forêts, le château, elle n'en crut pas ses yeux, et tomba immédiatement, sous le charme de cette énorme bâtisse, et de cet environnement de conte de fées. Charlotte, sa belle-mère, lui fit les honneurs d'usage, et un repas familial, en présence des cousins valaisans et Favre, quant au tour du propriétaire, ce fut Louis qui s'en chargea. Elle comprit, immédiatement, qui dirigeait, et qui exécutait les ordres.

Elle devrait briller avec humilité, ce qui ne lui ressemblait guère, se faire respecter, de la part de son beau-père, ce ne sera pas aisé, et mettre Charlotte en condition de partager une saine complicité, et peut-être de l'amitié, un objectif optimiste.

Le problème majeur, parmi tant d'autres, était le français, une langue qu'elle n'avait jamais pratiquée, et que la famille Moprez utilisait rarement au premier degré, les non-dits, étant à l'ordre du jour. Charles nageait dans la béatitude, il avait gagné le jackpot, en épousant cette flamboyante créature. Son père le regardait avec bienveillance, voyant son fils aussi épanoui, il attendait impatiemment, la venue d'un héritier, dans les plus brefs délais. Il avait transmis de bons gènes. Que diable, sois digne de ton géniteur, mon fils, occupe-toi de ta femme, disaient les yeux de Louis, c'était un ordre, pas un conseil. Louis Moprez n'était pas un romantique, et savait évaluer, rapidement, les capacités des personnes de son entourage. Il comprit vite, que sa bru était aussi manipulatrice que lui, en son for intérieur, il ne l'appelait que l'Américaine ou Blacksdale, Daisy lui brûlait la langue, avec un physique de la sorte, ce prénom était ridicule. Charles vivait un moment de grâce, l'usine marchait au-delà de ses espérances, son épouse semblait aussi douée au lit qu'à son piano, elle n'avait aucune pudeur, et prenait des initiatives coquines, dans des circonstances surprenantes. Un soir où ils recevaient des notables, particulièrement collet monté, elle l'attira derrière les rideaux, souleva sa robe, et se mit à turluter digue dondé. Qui dit mieux, pensait-il, en l'admirant de loin, dix minutes plus tard, en train de converser, dans un français très imagé, désinvolte et très chic. La classe.

Il se rendit compte, aussi, que sa jeune épouse ne se donnait à lui, qu'en situation particulièrement bizarre, entre la poire et le fromage, dirait-on, au restaurant, dans les ascenseurs, à l'usine, dans les toilettes. C'était drôle, bien sûr, elle semblait n'apprécier que ce genre de rencontres, rapides, intenses, qui le laissait, lui, sur sa faim. Ils dormaient dans des chambres séparées, Daisy verrouillait sa porte, Charles devait quémander ses rendez-vous intimes à l'avance, ce qui l'humiliait, mais l'excitait beaucoup. Madame tenait à sa privacy. Elle l'avait exigé dans son contrat de mariage, ce qui, pour un Français, semblait invraisemblable. Il était clair que le sexe, pour Daisy, semblait minuté, aux alentours de 5 minutes maximum, elle soulevait sa jupe, vite fait bien fait, puis passait à autre chose. Charles savourait les mets, la vie, prenait son temps, sa vraie nature se révélait dans le calme, se lever, faire sa toilette, déjeuner sans regarder sa montre. Au lit avec une femme, il adorait faire durer le plaisir, les préliminaires voluptueux lui étaient indispensables, s'abandonner sur un corps tiède, et c'était le paradis. Il passait des heures dans sa baignoire à rêver, fignoler une idée. Daisy ne connaissait que les douches, déjeunait en 5 minutes, avait horreur de ce qu'elle considérait, comme une perte de temps. Elle occupait une chambre vaste, lumineuse, dormait dans un lit étroit, les murs étaient tapissés de livres, une table, une chaise, un fauteuil et le magnifique Steinway complétaient l'espace très privé du monde de Daisy, qu'elle avait fait insonoriser. Elle s'exerçait trois heures par jour, la passion de sa vie, son piano, la musique qu'elle pratiquait sans modération. Elle en jouait merveilleusement bien, possédait un don exceptionnel, mais n'avait jamais envisagé de devenir concertiste professionnelle, incapable de par son caractère, à faire des concessions. Elle travaillait avec acharnement, pour la beauté de l'art, parce qu'elle en avait besoin, comme de l'oxygène qu'elle respirait. Un soir de novembre1913, alors que Charles, Louis et Charlotte dînaient dans un silence religieux, autour d'une choucroute garnie, Daisy annonça qu'elle attendait un enfant, pour le mois de juin. Elle fut acclamée, même Louis la regarda avec bienveillance. Ce fut aussi, la fin des rapports intimes, avec Charles. Elle boucla sa porte à cette « chose », elle aussi, comme Charlotte avait fait son devoir, qu'on la laisse en paix, en ce qui concernait la reproduction, elle avait rempli son contrat, enfin presque.

Elle demanda à Charles d'acquérir un appartement à Paris, rue de la Tour, à proximité de l'habitation d'un pianiste de renom, chez qui elle désirait étudier. Elle voyagea beaucoup, cet hiver 1913-1914 et mit au monde Louis Charles le 24 juin 1914, en tomba follement amoureuse, à la surprise générale.

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